Quand la modernité se loge dans les détails

On nomme les sensations que l’on dessine.

 

« On nomme les sensations que l’on dessine ».

Pierre Laurent, architecte agence Les Nouveaux Voisins…

 

 

Prenant du recul sur le matériau, Pierre se félicite de la recherche à l’œuvre chez les fabricants, qui proposent aujourd’hui des formes de plus en plus épurées.

 

Les souvenirs de Pierre Laurent sont très nets, c’était un jour où ils prenaient un verre avec son camarade de football Alexandre, juste après l’entraînement. 

Alexandre annonce avec fierté qu’il a acheté un terrain sur lequel il veut faire réaliser sa future maison, et qu’il s’est déjà rapproché d’un constructeur de maisons en bois.

La question fuse aussitôt : « Mais pourquoi tu ne m’en as pas parlé ? ». Alexandre le reconnaît volontiers : sa femme et lui-même ont peur des coûts d’un architecte. Pierre réfute l’argument, mais surtout il doit convaincre.

Il s’emploie donc à faire son métier comme il le conçoit, à savoir commencer par une immersion attentive des véritables besoins de la petite famille. On se voit, on pose des questions, on s’écoute ; le couple ajuste sa vision et livre les clés de son style de vie.

« Vous êtes plutôt brunch ou apéro ? n’est pas une question anodine », se rappelle Pierre. « Cela déterminera par exemple la localisation de la zone de repas et de réception à l’est ou à l’ouest. Vont-ils au cinéma ou regardent-ils plus souvent la télé ? Et combien d’heures par jour ? Avec la prolifération des séries notamment, la place de l’écran est tout à fait déterminante – elle joue le rôle d’attraction pivot que tenait la cheminée autrefois. Font-ils les devoirs avec les enfants, et où ? ».

C’est avec ce type de questionnement que la jeune agence « Les Nouveaux Voisins » affine progressivement les demandes des futurs habitants. Ce mode d’approche, précis et personnalisé, est l’indispensable préalable à tout projet réussi. « Les clients se sentent écoutés, à nous de les pousser dans leurs demandes même si elles s’expriment parfois par la négative », constate Pierre. « Les gens disent parfois qu’ils ne veulent pas d’une maison-cube. D’autres formulent des phrases tout à fait inspirantes comme « J’ai envie d’être dans mon jardin ».

A Sarrebourg, où la maison d’Alexandre et Flora va voir le jour, les contraintes ne manquent pas. Le Plan Local d’Urbanisme requiert un faîtage obligatoire pour les constructions neuves, avec des pentes de toiture à 45%. Le terrain est situé dans une zone à forte déclivité, en bordure d’une route en pente qui dessert le lotissement.

L’un des côtés du terrain donne heureusement sur un espace vert à horizon boisé. « Dans la spatialité, on est très classique ; la maison est dessinée comme un pavillon avec deux pignons, et un toit à deux pentes » résume Pierre. Le grand geste architectural a consisté à recouvrir cette structure pavillonnaire classique d’un ensemble toiture et bardage 100% composé de tuiles noires, à part les deux pignons surlignés dans leur profil-type (l’architecte parle de profil-logo) par un beau crépi rouge intense.

Le mot de carapace est lâché ; il sera opposé à celui de cocon, pour désigner les espaces de bois de mélèze qui prolongent la maison d’un espace à vivre à l’extérieur, côté champ et forêt. Les lattes de bois aérées, élancées et élégantes, matérialisent la présence de l’humain au sein de cette carapace minérale. Carapace et cocon sont des mots forts, mieux encore des métaphores, tout à fait typiques de la démarche conceptuelle des architectes : « On nomme les sensations que l’on dessine », résume Pierre.

Avec ce duo tuile et bois qui rend encore plus contemporaine une structure intérieure déjà moderne, le cahier des charges de l’Urbanisme est respecté ; il a cependant fallu convaincre les instructeurs du permis de construire du bien-fondé du projet. Oui, la maison pousse toutes les limites de la volumétrie du pavillon. Oui, mais elle les respecte toutes. Pierre se souvient de la surprise de ses interlocuteurs il y a quatre ans, mais aussi d’échanges intéressants au fil desquels ces derniers reconnaissaient la possibilité de l’originalité dans le respect des contraintes. La tuile a été, si l’on peut dire, la pierre d’angle des discussions.

 

Autant dire qu’ici, la contrainte a nourri la créativité et s’est muée en geste architectural fort. Une couleur inédite, un bardage complet à l’identique du toit, le choix d’une tuile mate… Le matériau va non seulement permettre la réalisation d’une maison originale, mais exploiter les qualités intrinsèques de la tuile terre cuite  : noble, naturelle, pérenne et durable.

Prenant du recul sur le matériau, Pierre se félicite de la recherche à l’œuvre chez les fabricants, qui proposent aujourd’hui des formes de plus en plus épurées. La tuile est selon l’architecte promue à un très bel avenir, d’autant plus si le choix s’ouvre à davantage de couleurs et de rendus, outre les finitions mat, satiné et brillant, offrant des jeux de lumières nouveaux dans le paysage. Il appelle de tous ses vœux de nouveaux produits de création. Des projets qui développeraient l’utilisation en bardage, car la tuile est encore en grande majorité le produit de toiture par excellence. Des produits qui permettraient d’en finir enfin avec la « France moche » qui a défiguré et nivelé des milliers d’entrées de villes et de villages au caractère pourtant prononcé.

Le mot de la fin est celui de l’homme de l’art : il n’y a pas de produit qui soit contemporain ou désuet en soi, il y a la façon dont on le met en œuvre et dont on l’intègre à son environnement immédiat. Le traitement des rives et les débords de tuiles, le choix d’une gouttière carrée plutôt que demi-ronde, tous ces détails qui font qu’une toiture pèse ou s’efface, qu’une ligne faitière s’élance devant l’œil ou qu’elle en sectionne la perspective, oui, tous ces détails s’appellent des finitions. Finition rime avec précision, finition rime avec attention. Le rendu contemporain, ce fameux « tendu » des lignes peut s’atteindre même dans une forme générale ultra-classique. La preuve par la douce carapace de Sarrebourg. Parole d’architecte !

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